Moi, je suis à Lojega depuis 43 ans. J’ai connu la construction des bâtiments du quartier des Villas et j’ai commencé comme polyvalente. Je suis passée par tous les services. Aujourd’hui, je suis au service technique, mais je suis même passée par l’accueil. J’ai tout fait ici. Pour moi, le public a
beaucoup changé dans le quartier des Villas.
Avant, les locataires s’installaient le temps de mettre un peu d’argent de côté pour pouvoir ensuite partir et peut-être acheter un appartement ou une maison ailleurs. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il y a des gens qui sont dans un tel état de précarité que c’est plutôt la survie pour eux. De
nos jours, pour avoir accès à un logement social, il y a une longue liste d’attente et les conditions pour y accéder ne sont plus les mêmes. À l’époque, les conditions étaient beaucoup plus souples, mais la société a tellement évolué ! C’est logique ! Et puis, Lojega a tellement grandi. C’est un peu
comme mon bébé, cette entreprise, car j’ai suivi toute son évolution. C’est ma deuxième maison en quelque sorte !
Vous savez, à l’époque, c’était le surveillant lui-même qui faisait les petits bricolages à droite et à gauche dans les appartements et il transportait son matériel dans une brouette ! C’est pour vous dire ! Aujourd’hui, on a nos propres camionnettes. On ne peut plus comparer ! Mais je trouve malgré
tout que les relations sont devenues beaucoup plus distantes et individualistes entre les locataires. Avant, les voisins se connaissaient. D’ailleurs, on venait parfois me trouver pour me dire « Vous savez, Madame Untel n’est pas bien, il faudrait aller l’aider ! ». Aujourd’hui, les gens
s’inquiètent rarement pour leurs voisins. À notre époque, c’est chacun pour soi. C’est un peu comme l’évolution de la société en général. Le soir, les gens ferment leur porte à double tour et c’est terminé, peu importe ce qui se passe chez le voisin d’en face. Je trouve ça dommage car il y avait
vraiment une ambiance plus agréable pour les locataires avant, une ambiance beaucoup plus conviviale et solidaire.
C’est en tout cas ce que les gens me renvoient quand je les rencontre. Parfois même, je rencontre des anciens qui me disent « Ah, Madame Micheline, ça fait plaisir de vous voir ! ». C’est vrai que moi, dès que je pouvais aider, j’aidais. Alors, les gens se souviennent de moi. Et quand je ne pouvais
pas aider, j’expliquais toujours pourquoi, avec respect. Et du coup, il y a toujours eu beaucoup de considération entre les locataires et moi.
Bien sûr, j’ai parfois vécu des choses difficiles. Des choses parfois traumatisantes qu’on ne peut pas oublier dans une carrière, comme des menaces, de l’agressivité, des scènes délirantes avec certains locataires, un vol à main armée et même un étranglement un jour par une femme qui avait un
problème psychiatrique et qui s’est suicidée après, d’ailleurs. Ça n’a pas toujours été simple, mais j’ai malgré tout gardé un très bon souvenir.
Je pourrais prendre ma pension, mais j’ai du mal à lâcher. C’est pour vous dire combien je tiens à ce quartier et à ce travail.